8 Novembre 2021
Le harcèlement n'est pas une fatalité. L'expérience vécue par nos collègues du service RH de Gan Assurances montre que le combat à mener peut être rude face à un employeur qui sous-estime la souffrance des salarié.es.
Pire, la DRH semble vouloir être juge et partie dans cette affaire.
La CGT gagnera cette affaire parce que cette situation est injuste et non conforme au Droit et aux accords qui engagent la direction en ce qui concerne la santé des salarié.es.
Cet article est paru dans le magazine "Argus de l'Assurance".
ENQUETE Depuis 2017, la filiale de Groupama [Gan Assurances] a redressé ses comptes. En première ligne dans cette transformation, les services RH se disent aujourd’hui en souffrance. A tel point que les élus du CSE ont exercé leur droit d’alerte pour « danger grave et imminent ».
Une direction des ressources humaines en « état de crise ». C’est la conclusion des experts du cabinet Secafi dans un rapport rendu le 27 mai dernier. Agréée par le ministère du Travail, cette société a été mandatée par le CSE (Comité social et économique) de Gan Assurances pour étudier les conditions de travail des salariés de la direction des ressources humaines et de la communication. Face à ce qu’ils considèrent comme des risques psychosociaux aggravés, les élus de la filiale de Groupama ont décidé d’exercer leur droit d’alerte pour « danger grave et imminent » lors d’un CSE extraordinaire le 18 mars 2021. Une résolution votée, à l'époque, par les trois organisations syndicales (CFE-CGC, CGT, CFDT).
La liste des constats dressés par ces élus est longue : « stress et peur au travail », « violence verbale», « épuisement physique et psychologique », « harcèlement », « management anxiogène »... Ils recensent, en mars 2021, 4 démissions et 7 personnes en arrêt de travail sur 30 salariés travaillant au sein des services RH. Selon le rapport Secafi, le taux de turnover dans la direction des ressources humaines et de la communication s’est élevé à 12,5% sur l’année 2020. Dans les services précisément concernés par le droit d’alerte (développement et stratégie RH, relations sociales et contentieux), le taux d’absentéisme dépasse 10%.
"Peur au travail"
Les experts qui ont mené des entretiens individuels avec les 30 salariés ont recensé « 12 personnes faisant état de leur peur au travail », « 15 personnes présentant des troubles du sommeil » et « 15 personnes faisant état de pleurs ou ayant pleuré au cours de l’entretien ». Une salariée du service RH, qui préfère rester anonyme, témoigne avoir assisté à « des crises de pleurs et de panique ». « J’ai vu des collègues en stress intense au point de ne plus réussir à parler. Des personnes si dévalorisées qu’elles me répétaient qu’elles n’étaient « que des merdes ». « Les collaboratrices devaient constamment se justifier auprès du management. Cela n’allait jamais assez vite, ce n’était jamais assez bien. Elles en perdaient l’appétit et le sommeil», ajoute une ex-salariée.
Une situation identifiée par la direction dès 2020, avant le vote du droit d’alerte : « Nous n’avons pas négligé la souffrance au sein de la DRH qui est réelle, ni les conclusions de l’enquête Secafi. Nous avons souhaité traiter les risques psychosociaux au plus vite », confie une source proche de la direction. Au cours de l’année 2020, sur demande de la DRH, la psychologue du travail avait lancé une enquête qualité de vie au travail (QVT). Présentées en cercle restreint à la DRH et aux responsables de services RH en janvier, ses conclusions ont ensuite été « remaniées par la direction après l’adoption du droit d’alerte», dénoncent plusieurs sources internes. Comme en atteste un courriel daté du 2 avril, ce n’est qu’à la demande de l’inspecteur du travail que la DRH a organisé la restitution de cette enquête le 6 avril 2021. Cette dernière pointe plusieurs « facteurs de tension » comme « le stress », « la charge de travail », « le contact avec des personnes en souffrance » et émet plusieurs « préconisations » à destination du management pour « accompagner les changements ».
Procédures judiciaires
Signe des difficultés du dialogue social au sein de la compagnie, les élus CFE-CGC et CGT ont engagé 3 procédures pour délit d’entrave au fonctionnement du CSE depuis le printemps dernier. Ils reprochent à la direction de ne pas respecter la procédure du droit d’alerte. Comme le relève l’inspecteur du travail dans un courrier adressé le 16 avril à la DRH, « la direction de Gan Assurances n’a pas donné de suite à cette enquête, n’a pas réuni le CSE en urgence et n’a pas non plus informé les services de l’inspection du travail », ce qui constitue, selon lui, « des entraves au fonctionnement » du CSE. Dans une réponse datée du 20 avril, la DRH se défend en rappelant que l’organisation d’une « enquête paritaire » a été « unanimement refusée » par les élus. «Nous souhaitions que l’enquête soit conduite par une personnalité externe, comme le recommande le rapport Secafi, pas par la DRH qui est elle-même mise en cause! », réagit l’un d’entre eux. « La direction a sollicité des élus le nom des personnes concernées par le droit d’alerte », rappelle la DRH, alors que les salariés avaient expressément demandé à rester anonymes. « Si on parle, on risque d’être harcelé et viré ! », redoute l’une d’entre eux.
Droit d’alerte du CSE : Tout membre du CSE dans une entreprise de plus de 11 salariés peut exercer son droit d’alerte en cas de « danger grave et imminent ». Pour répondre à cette alerte datée et signée, prévue par le code du travail (article L. 2312-5), l’employeur doit déclencher une enquête et adresser une fiche de renseignements à l’inspection du travail. En cas de désaccord persistant, l’employeur doit réunir un CSE dans les 24 heures. L’inspection du travail, qui peut assister à cette réunion, peut mettre en demeure l’employeur de remédier à la situation.
Délit d’entrave au fonctionnement du CSE : Toute entrave aux missions générales des élus du CSE, par exemple l’absence de consultation du CSE ou la non-convocation d’un élu à une réunion, constitue un délit de la part de l’employeur. Il peut être condamné en justice à une amende de 7500€.
Huit mois après l’exercice du droit d’alerte, « la direction de Gan n’a apporté aucune réponse satisfaisante », constate cette salariée. Des groupes de travail ainsi qu’un comité de suivi paritaire ont été mis en place dès le mois de juin à l’initiative de la direction. Un comité auquel les élus ont refusé de participer, considérant qu’il s’agit d’une entrave au fonctionnement du CSE. Ce que rappelle l’inspecteur du travail dans un courrier daté du 21 juillet 2021. Ce dernier est formel : « les mesures envisagées par la direction des ressources humaines semblent très insuffisantes.» Il demande donc à la direction de « présenter dans les meilleurs délais un plan d’action détaillé de prévention des risques psychosociaux dans le service de la Direction des ressources humaines. » Contactées par L’Argus, ni la direction de Gan ni la direction de Groupama n’ont souhaité s’exprimer sur le dossier.
"Pas de risque suicidaire"
L’inspection du travail et la médecine du travail ne partagent pas la même appréciation des risques psychosociaux chez Gan Assurances. La médecine du travail considère que le danger grave et imminent « n’existe pas au sein de la DRH car il n’y a pas de ‘risque suicidaire’ ». Des conclusions sur lesquelles s’appuie le directeur général de Gan Claude Zaouati, cité dans un courrier de l’inspection. Il aurait déclaré lors d’une réunion du CSE le 3 juin : « Ni le rapport Secafi ni le diagnostic RPS QVT ne mettaient en évidence l’existence d’un risque grave […] ce que le médecin du travail a expressément confirmé hier. Or, qui est mieux placé que le médecin du travail pour se prononcer sur l’existence d’un risque grave sur la santé de nos collaborateurs ? » De son côté, l’inspecteur du travail conteste les conclusions de la médecine du travail et l’invite à « reformuler sa position » au regard de « la définition juridique d’un danger grave et imminent ».
Une entreprise en transformation
Comment en est-on arrivé là ? La DRH était l’une des dernières directions dont les objectifs n’avaient pas encore été alignés avec la stratégie de transformation de l’entreprise de 1620 salariés. Une réorganisation, portée par une nouvelle directrice des ressources humaines nommée en mars 2020, qui a pour ambition de travailler sur la marque employeur, la mobilité interne et le suivi des compétences. « La crise sanitaire et les nouvelles attentes ont généré des problématiques de surcharges de travail. C’est la conséquence malheureuse d’une transformation où le niveau d’exigence requis a mis en difficulté des collaborateurs », précise une source proche de la direction. Pour un élu CFE-CGC, « les services RH, c’est le dernier maillon de la chaîne qui craque. Ils ont accompagné toutes les transformations depuis 4 ans avant d’être réorganisés eux aussi.» Les salariés de la DRH interrogés par l’Argus confirment que les changements se sont accélérés avec l’arrivée de nouveaux responsables aux méthodes « plus drastiques » bénéficiant de «l’appui de la direction générale ». «Les dossiers de contentieux ont explosé. On nous a demandé de monter à la chaîne des dossiers de licenciements pour inaptitude ou insuffisance professionnelle», raconte une collaboratrice RH.
Tensions chez les commerciaux
Nommé en 2017 à la tête de Gan, Claude Zaouati a été chargé par la maison-mère Groupama de redresser la compagnie. Un plan qui a porté ses fruits au niveau des résultats économiques, avec un retour à la rentabilité technique en 2019 et qui a d’abord consisté à revoir le modèle commercial. Apporteurs d’affaires pour les agents généraux, les quelque 200 chargés de mission bénéficiaient de rémunérations élevées, jugées injustifiées. Un nouvel accord de rémunération a donc été signé par la CFDT et la CFE-CGC quelques mois après son arrivée. « La direction affirmait qu’elle nous donnerait les moyens de notre développement par la suite… Mais nous nous sommes aperçus que le plan était de liquider notre métier », témoigne l’un des 22 chargés de mission encore en poste. Leurs reproches : « la direction de Gan n’a pas organisé de PSE ni de mesures de reclassement. » Près de 70 chargés de mission auraient ainsi été poussés à la démission pour devenir agents, tandis qu’une centaine se serait vue licenciée « avec de gros chèques ». «Ceux qui sont restés sont tombés en dépression, ont été placés en arrêt maladie », raconte-t-il. Une trentaine de chargés de mission a même assigné Gan aux prud’hommes en juillet 2019 pour « résiliation judiciaire du contrat de travail ». Par ailleurs, Gan a été condamné à verser 1M€ dans le cadre de trois procédures pour licenciement abusif intentées par des inspecteurs. « Ils ont renouvelé 54% des effectifs, témoigne un inspecteur. Leur stratégie est simple : monter des dossiers pour se séparer des anciens. »
Ces méthodes ne seraient pas limitées aux commerciaux. Selon les délégués syndicaux, « ce sont surtout les services de gestion et de souscription qui souffrent. » Une élue CGT constate « une multiplication des mobilités forcées, sur le plan fonctionnel mais aussi géographique. On supprime des services et on met les salariés au pied du mur ». Une ex-responsable d’un service souscription, en arrêt maladie depuis un an, témoigne avoir été « rétrogradée à son retour de congé maternité » avant qu’on « tente de la pousser à la sortie avec un gros chèque de 250 000 euros». « J’ai passé 20 ans chez Gan. J’aimais mon travail. J’ai donc décidé de m’accrocher mais ils m’ont placardisée », raconte-t-elle. Salariés et élus souhaitent aujourd'hui « pouvoir retravailler dans un climat serein » et attendent des réponses. Selon nos informations, la direction de Groupama aurait été informée.
Source : Argus de l'Assurance